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« Le Léopard des neiges » : au Tibet, passes d’armes autour d’un fauve piégé

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
Alors que ses films trouvaient un débouché en France, et qu’il obtenait une reconnaissance internationale, le cinéaste Pema Tseden (Tharlo. Le berger tibétain, 2018 ; Jinpa, un conte tibétain, 2020), Tibétain de nationalité chinoise, est mort le 8 mai 2023, à l’âge de 53 ans. Il s’est éteint en plein tournage, d’un arrêt cardiaque provoqué par le mal aigu des montagnes, syndrome dû à une trop rapide montée en altitude. Pivot de l’émergence, au début des années 2000, d’un cinéma spécifiquement tibétain, ses films imprégnés par la culture locale se distinguent par leur animisme rêveur, aux contours flottants, peu courants au regard de la production chinoise. Avant de prendre une caméra, Tseden, auteur de nouvelles, eut surtout une carrière littéraire, ce qui semble avoir complètement décomplexé son rapport à l’outil cinéma. Ainsi n’eut-il jamais peur de réinventer un langage filmique bien à lui, féru des débrayages formels et narratifs, où chaque plan est un terrain d’expérience.
Le Léopard des neiges, sa dernière œuvre achevée (en postproduction au moment de son décès), témoigne une nouvelle fois de ce goût de l’hybridation formelle. Une équipe de reportage télé débarque dans une province reculée du Tibet, attirée là par un bon sujet. En effet, un léopard des neiges s’est glissé dans l’enclos d’une ferme familiale pour y tuer une dizaine de moutons. Fou furieux, l’aîné compte bien faire la peau à l’animal, une espèce récemment classée protégée, et le tient en captivité tant que l’Etat ne lui propose pas d’indemnisation. Son frère cadet, jeune moine bouddhiste passionné de photographie animalière, s’interpose en défense du fauve piégé.
Autour de ce contentieux entre l’homme et l’animal, Pema Tseden confronte les différents points de vue d’une assemblée de personnages, variant les distances vis-à-vis de l’événement, du sujet le plus viscéralement impliqué au plus extérieurement administratif. Cela commence dès les premières scènes dans l’habitacle de la voiture transportant l’équipe télé, qui discute en mélangeant le chinois et le tibétain, signe des provenances de chacun et déjà jeu de distances entre langue officielle et régionale, centre et périphérie. En face, la famille d’éleveurs se révèle tout aussi fracturée par la pyramide des âges et des vocations.
D’autres intervenants vont, en cours de route, complexifier le tableau : une équipe de la protection animale dépêchée sur place, puis deux agents de police venant faire respecter la loi. A travers ce chœur querelleur, Pema Tseden traite de la façon dont la juridiction centrale s’impose aux cultures périphériques – la protection animale décrétée d’en haut venant ici remettre en cause l’entente cordiale et séculaire entre fauves et bergers des montagnes.
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